• Deux ou trois « cats » et l’Histoire de la Normandie se dévoile. Celle de son rattachement à l’Angleterre ou à la France, son rapport à la Royauté et à la République. C’est une histoire d’hommes, de révoltes, de combats, de bouleversements économiques et sociaux, de culture et de transmission.

    Ces « cats » sont les léopards qui parent le drapeau de la Normandie et qui symbolisent les qualités de bravoure, de force et de noblesse. Ils proviennent d’un blason ancien des Plantagenêts du XIIème siècle, celui d’Henri II. Le premier léopard représente le statut de Roi d’Angleterre, le second le titre de Comte d’Anjou. Le troisième fut rajouté par son fils, Richard cœur de lion pour représenter son statut de Duc de Normandie.

    Après l’annexion de la Normandie continentale au Royaume de France en Octobre 1465, Louis XI nomme son frère Charles de France, Duc de Normandie qui, au blason existant, ajoute une brisure aux armes de France (les fameuses fleurs de lis) et réduit le nombre de léopards de trois à deux.

    L’intervention militaire française dans la guerre de Trente Ans accroît à partir de 1635 la pression fiscale sur la province de Normandie, qui est une des plus riches du Royaume, alors que les épidémies de peste ont limité les récoltes et les échanges commerciaux. En Janvier 1639, s’ajoute à ce lourd contexte la gabelle instaurée par Louis XII. Commence alors, avec l’assassinat en Juillet 1639 de Charles Le Poupinel chargé de collecter les impôts, le soulèvement des Nu-Pieds emmenés par Jean Quetil. La jacquerie regroupe de nombreuses catégories sociales : paysans, manœuvriers, clercs & gentilshommes. Elle est soutenue également par les prêtres qui encadrent les révoltés. Sur ordre de Richelieu, qui veut faire un exemple, cette sédition est férocement réprimée et écrasée le 30 novembre 1639 à Avranches.

    C’est au cœur de ces terres théâtre de l’Histoire, que le Château du Tremblay fut fondé, probablement par Gaspard René Roussel, sieur de la Boissière, garde du corps du Roi, né en 1722 entre la révolte des va-nu-pieds de 1639 et celle des Chouans de 1793.

    En 1765, le Conseil d’État du Roi du 2 Novembre, accordant parmi d’autres privilèges à Gaspard René Roussel, sieur de La Boissière « d’assister aux processions et assemblées publiques et particulières de la paroisse où il a son domicile [Orgères], immédiatement après les Seigneurs & Dames du lieu, & avant tous autres inférieurs en ordre », nous permet de déduire que le Château du Tremblay était déjà fondé à cette date. Le Château apparaît d’ailleurs sur la carte générale de la France établie sous la direction de César-François Cassini de Thury à partir de 1756.

    À la même époque, le Marquis de Sade est assigné à résidence pour « débauche outrée » au Château d’Échauffour, propriété des parents de son épouse la Marquise Renée Pélagie de Montreuil, située à quelques kilomètres du Tremblay.

    En 1793, éclate l’insurrection des Chouans contre la République. Si la gabelle avait été un des éléments déclencheurs de la révolte des Nu-pieds, elle l’est également dans celle des Chouans. En effet, la République Française le 1er décembre 1790 supprime la gabelle ce qui réduit à la misère plus de 2000 familles qui ne vivaient que du commerce frauduleux du sel. Ces contrebandiers dont Jean de Chouan se rangèrent parmi les ennemis de la République.

    Mais, le cœur de la chouannerie normande reste l’antagonisme entre les paysans et les bourgeois qui, à la Révolution, ont racheté à leur profit exclusif les biens du clergé et des nobles. La levée en 1793 de masse de 300 000 hommes porte à son comble l’exaspération. Déserteurs, marginaux, braconniers, contrebandiers composent les redoutables contingents des Chouans qui vont manquer d’armes et de munitions tout autant que de Chefs et de vision malgré Louis de Frotté figure emblématique des Chouans soutenu par des princes français et le gouvernement britannique. En 1796, la chouannerie s’essouffle, les défections apparaissent, des bandes se soumettent, le pays est fatigué par la guerre et les effectifs républicains augmentent. Le Maine et la Bretagne sont soumis et la Normandie est le dernier bastion chouan où de leurs divisions persistent vers l’Aigle - à proximité du château. Frotté est de plus en plus seul. La pacification est signée le 6 Juillet 1796. Mais, les combats reprennent fin 1799 sous l’impulsion de Frotté, notamment près de Pacy-sur-Eure ce qui laisse craindre un mouvement vers Paris.

    Le coup d’État du 18 brumaire arrête l’accroissement de la chouannerie normande car pour ses habitants la République n’existe plus. Le 4 Janvier 1800, le premier Consul demande à l’armée de l’Ouest d’exterminer les Chouans. Frotté entame des négociations mais Bonaparte craignant un débarquement veut un exemple et la mort du chef normand qui sera assassiné dans un guet-apens à Verneuil-sur-Avre le 18 février 1800.

     

    Le château du Tremblay reste par succession dans la famille jusqu'à Auguste François DEFORGE, petits-fils de Gaspard René Roussel de la Boissière. Mais vers 1852- à l'époque où le fils de famille François se marie avec la domestique Félicité - le Château fait l’objet d’une saisie immobilière au profit de la famille Chertier.

    À partir de cette date, le Château change de nombreuses fois de propriétaires jusqu’en 1931, année à laquelle l’acquiert Robert Georges-Picot (avocat à la cour, Croix de guerre et membre actif de la résistance), grand-oncle de Valéry Giscard d’Estaing. Le château est occupé par les Allemands durant la Seconde Guerre. Des voisins racontent qu’ils auraient peint de grandes croix rouges sur le toit pour éviter les bombardements aériens. La complexité de la succession de Robert Georges-Picot, père de six filles, amènera une nouvelle fois le Château à la vente tout d’abord en 1962 à la famille Sebban puis en 2019 à Nathalie & Christophe Gaillard.