L'histoire du château

  • UN LIEU CHARGÉ D'HISTOIRE

    Deux ou trois « cats », et l’Histoire de la Normandie se dévoile. Celle de son rattachement à l’Angleterre ou à la France, son rapport à la Royauté et à la République. C’est une histoire d’hommes, de révoltes, de combats, de bouleversements économiques et sociaux, de culture et de transmission. Ces « cats » sont les léopards qui parent le drapeau de la Normandie et qui symbolisent les qualités de bravoure, de force et de noblesse. Ils proviennent d’un blason ancien des Plantagenêts du XIIème siècle, celui d’Henri II. Le premier léopard représente le statut de Roi d’Angleterre, le second le titre de Comte d’Anjou. Le troisième fut rajouté par son fils, Richard Cœur de Lion(1) pour représenter son statut de Duc de Normandie.
    Après l’annexion de la Normandie continentale au Royaume de France en Octobre 1465, Louis XI nomme son frère Charles de France, Duc de Normandie qui, au blason existant, ajoute une brisure aux armes de France (les fameuses fleurs de lys) et réduit le nombre de léopards de trois à deux.(2)  C’est au coeur de ces terres, théâtre de l’Histoire, que le Château du Tremblay fut fondé par Gaspard René Roussel, sieur de la Boissière, garde du corps du Roi, né en 1722 pratiquement 700 ans après Guillaume le Conquérant(3), entre la révolte des Nu-pieds de 1639 et celle des Chouans de 1793. L’intervention militaire française dans la guerre de Trente Ans accroit à partir de 1635 la pression fiscale sur la province de Normandie, qui est une des plus riches du Royaume, alors que les épidémies de peste ont limité les récoltes et les échanges commerciaux. En janvier 1639 s’ajoute à ce lourd contexte la gabelle(4) instaurée par Louis XII. Commence alors, avec l’assassinat en juillet 1639 de Charles Le Poupinel chargé de collecter les impôts, le soulèvement des Nu-Pieds emmenés par Jean Quetil(5). La jacquerie(6) regroupe de nombreuses catégories sociales: paysans, manœuvriers, clercs et gentilshommes. Elle est soutenue également par les prêtres qui encadrent les révoltés. Sur ordre de Richelieu, qui veut faire un exemple, cette sédition est férocement réprimée et écrasée le 30 novembre 1639 à Avranches.
     
    En 1765, le Conseil d’État du Roi du 2 Novembre, accordant parmi d’autres privilèges à Gaspard René Roussel, sieur de La Boissière « d’assister aux processions et assemblées publiques et particulières de la paroisse où il a son domicile [Orgères], immédiatement après les Seigneurs & Dames du lieu, & avant tous autres inférieurs en ordre », nous permet de déduire que le Château du Tremblay était déjà fondé à cette date. Le Château apparait d’ailleurs sur la carte générale de la France établie sous la direction de César-François Cassini de Thury(7) à partir de 1756(8).
     
    À quelques centaines de mètres de là, à la même époque, le Marquis de Sade est assigné à résidence pour « débauche outrée » au Château d’Échauffour(9), propriété des parents de son épouse la Marquise Renée Pélagie de Montreuil(10).
     
    En 1793, quatre ans avant la naissance du petit-fils de Gaspard René Roussel de la Boissière, François Desforge, éclate l’insurrection des Chouans contre la République. Si la gabelle avait été un des éléments déclencheurs de la révolte des Nu-pieds, elle l’est également dans celle des Chouans. En effet, la République Française, le 1er décembre 1790, supprime la gabelle, ce qui réduit à la misère plus de 2000 familles qui ne vivaient que du commerce frauduleux du sel. Ces contrebandiers dont Jean de Chouan(11) se rangèrent parmi les ennemis de la République.
    Mais le cœur de la chouannerie normande reste l’antagonisme entre les paysans et les bourgeois qui, à la Révolution, ont racheté à leur profit exclusif les biens du clergé et des nobles. La levée en 1793 de masse de 300 000 hommes porte à son comble l’exaspération. Déserteurs, marginaux, braconniers, contrebandiers composent les redoutables contingents des Chouans qui vont manquer d’armes et de munitions tout autant que de Chefs et de vision malgré Louis de Frotté(12), figure emblématique des Chouans, soutenu par des princes français et le gouvernement britannique. En 1796, la chouannerie s’essouffle, les défections apparaissent, des bandes se soumettent, le pays est fatigué par la guerre et les effectifs républicains augmentent.
    Le Maine et la Bretagne sont soumis et la Normandie est le dernier bastion chouan où leurs divisions persistent vers l’Aigle - à proximité du château. Frotté est de plus en plus seul. La pacification est signée le 6 Juillet 1796. Mais les combats reprennent fin 1799 sous l’impulsion de Frotté, notamment près de Pacy-sur-Eure, ce qui laisse craindre un mouvement vers Paris.
    Le coup d’État du 18 brumaire arrête l’accroissement de la chouannerie normande car, pour ses habitants, la République n’existe plus. Le 4 Janvier 1800, le premier Consul demande à l’armée de l’Ouest(13) d’exterminer les Chouans. Frotté entame des négociations mais Bonaparte craignant un débarquement veut un exemple et la mort du chef normand qui sera assassiné dans un guet-apens à Verneuil-sur-Avre le 18 février 1800.
    Le Château du Tremblay reste dans la famille Desforge jusqu’en 1852, date à laquelle il fait l’objet d’une saisie immobilière au profit de la famille Chertier. Le Château changera ensuite de nombreuses fois de propriétaires jusqu’en 1931, année à laquelle l’acquiert Robert Georges-Picot (avocat à la cour, Croix de guerre et membre actif d’aide à la résistance), grand oncle de Valéry Giscard d’Estaing. Sa succession complexe amènera une nouvelle fois le Château à la vente, tout d’abord en 1962 à la famille Sebban puis en 2019 à Nathalie et Christophe Gaillard.

     

    (1) Richard Cœur de Lion (1157-1199), fils d’Henri II et Aliénor d’Aquitaine

    (2) Il existe une autre version de la réduction à 2 léopards. Elle serait le résultat de la réunion de la Normandie avec l’Aquitaine sous le sceptre unique des Plantagenêts, héritiers par Aliénor d’Aquitaine de cette province dont le blason est formé d’un léopard.

    (3) Né en 1027 à Falaise, commune française située dans le département du Calvados en région Normandie.

    (4) La gabelle est un impôt royal sur le sel.

    (5) Jean Quetil se fait appeler Jean Nu-Pied et donne son nom à la révolte.

    (6) Révolte paysanne.

    (7) En 1747, Louis XV charge Cassini de Thury (I) d’établir des cartes individuelles du Royaume. Réalisées entre 1756 et 1815, la Carte générale de la France est la première carte générale et particulière du royaume de France. Composée de 180 feuilles accolées, elle donne une vision d’ensemble du royaume dans ses frontières de l’époque.

    (8) Aucun document officiel de notre connaissance ne nous permet d’établir une date

    précise de fondation du Château.

    (9) À quelques kilomètres d’Orgères où se situe le Château du Tremblay.

    (10) La Marquise y accouchera d’une fille le 15 août 1764 qui décèdera deux mois et demi plus tard. Le Marquis écrira : « Le ciel n’a pas voulu me laisser jouir longtemps du bonheur d’être père, mon cher oncle, il vient de m’enlever ma petite fille. Quoique la malheureuse enfant n’ait pas assez vécu pour laisser des regrets bien vifs, la perte d’un premier est toujours fort affligeante. [...] »

    (11) De son vrai nom Jean Cottereau (1757 - 1794), il est, avec ses frères, un des chefs de l’insurrection contre-révolutionnaire et royaliste.

    (12) Louis de Frotté (né à Alençon en 1766), émigré en Angleterre, reçoit mission sur le continent de soulever la Normandie. Il débarque en France en février 1795 avec le titre de Colonel-général.

    (13) L’armée de l’Ouest est une armée de la Révolution française chargée de combattre l’insurrection vendéenne.